Les chroniques de livres


Roman

"Comment va la douleur ?" 

                                                                 
                                                        de Pascal Garnier aux éditions Zulma

L'auteur




Pascal Garnier est né en 1949 et décédé en mars 2010 à l’âge de 60 ans. Après avoir pas mal voyagé, il se consacre à l’écriture de romans policiers et d’ouvrages pour la jeunesse. En 2006, il obtient le Grand Prix de l'humour noir avec « Flux ». Son œuvre compte plus d’une vingtaine d’ouvrages, dont le dernier paru « Le grand loin »en 2010. Aujourd’hui, j’ai choisi de vous parler de « Comment va la douleur ? » paru aux éditions Zulma  en 2006.


Le livre

Il fait beau, le paysage est calme, apaisant. Sur les bords de la Volane, des couples se baladent. Pour la plupart, ce sont des personnes d’un certain âge, venus passer quelques jours au pays des cures thermales. Les hôtels sont pleins de vieillards, venus ici à cause d’une arthrite lancinante, de maux d’estomacs, d’une surcharge pondérale ou de toute autre sorte de maladies que chacune des sources des parages soulagent, ou pour les plus optimistes soignent. Mais Simon n’est pas là sur prescriptions médicales, avec ses airs de parrain en préretraite, il promène un œil plutôt cynique sur ces vieillards scrofuleux qu’il croise dans les couloirs de son hôtel.


C’est dans cette petite ville de Vals-les-Bains que Simon Marechall rencontre Bernard Ferrand, un adolescent en convalescence chez sa mère parce qu’il s’est sectionné 2 doigts au travail.  Simon va tout de suite être pris d’affection pour ce grand « flandrin » un peu nigaud, comme il l’appelle. Tous 2 sympathisent jusqu’au jour où Simon propose au jeune homme de lui servir de chauffeur. 2 jours, 600 euros. Une aubaine pour le grand dadais : il va pouvoir gagner un peu d’argent pour sa pauvre mère, Anaïs.  Parlons-en de cette Anaïs Ferrand,  de cette fervente admiratrice de Jean Ferrat, qu’on peut croiser le dimanche à faire son marché:  

 « Ils quittent un à un le pays/ Pour s'en aller gagner leur vie / Loin de la terre où ils sont nés. » 

Et bien c’est un peu ça Mme Ferrand, une assoiffée de fortune, une dilettante du commerce, une amatrice du négoce de bas-étage, venue ici pour gagner sa vie. Dans son pas-de-porte aux stores poussiéreux, elle a tout essayé : mercerie, artisanat local, salon de toilettage… Mais les revers de fortune se sont cumulés la laissant seule, ruinée, au milieu d’un bric à brac insensé, dernier vestige de projets tous tombés à l’eau ou dans le rhum devrais-je dire, car Anaïs se sert de ses bouteilles de Negrita quotidiennes comme d’une béquille instable pour tanguer dans ses quelques mètres carré surchargés de kitchs et de tristesse. «  Il serait pas un peu pédé des fois ? » demandera-t-elle à son fils qui vient l’informer du petit boulot que lui a proposé un vieil inconnu. Non, Simon Marechall n’est pas pédé. Il est dératiseur… « Extinction des nuisibles, rats, pigeons, cafards… »
Enfin, c’est ce qu’il dit à tout le monde. Mais dans la poche de son imper, pas de tapettes à souris ni d’insecticides, simplement un automatique.  Le jeune Bernard est loin de s’en douter, au volant de la grosse berline de son employeur, il jubile, déborde de vie, frime un peu. 

Les deux hommes prennent la route et vont apprendre à se connaître. Simon est peu loquace, y’a de quoi, l’ancien militaire est tueur à gages et s’apprête à exécuter son dernier contrat.  Vieilli, souffrant d’un mal qui le ronge jour après jour, il a hâte d’empocher l’argent et d’en finir. Mais le trajet le plus cours pour l’amener à l’homme qui doit abattre n’est pas celui que le destin a prévu.

Il y a les malaises d’abord, Simon, planqué dans des toilettes d’une brasserie et ce sang qu’il crache, son corps qui devient de plus en plus difficile à traîner. Et puis, il y a les rencontres : Fiona et son bébé, une mère et son enfant qui fuient les bastonnades d’un alcoolique. Vraiment Simon se serait bien passé de leur compagnie, lui, le tueur solitaire, froid et osons-le presque antipathique. Simon Marechall,  c’est le genre de type à penser:

 « Le bébé est une sorte de tube ouvert aux deux extrémités. Par l’une on le remplit, par l’autre il se vide. »

Lapidaire et anti social, le Simon. Alors qu’est-ce qui va l’amener, dans le mobile home de Rose, une taxidermiste belge dont le parfum capiteux l’écœure ? « Simon souleva la cuisse molle qui reposait sur la sienne et se dégagea du méandre des draps. Il avait envie de vomir ». Vraiment, il n’aimait pas ça l’imprévu. Et l’amour qu’on vous donne est un imprévu envahissant. Lui, il repère, il flingue, empoche l’argent et prend une petite Suze quand l‘affaire est réglée. Pas de places pour s’épancher ou s’embarrasser avec les sentiments.  Mais la destinée sous la plume de Pascal Garnier est là pour forcer les caractères. Avec une écriture simple et bourrée d’humour, il nous fait vivre un road trip délicieusement touchant. A travers des personnages dont le trait commun est d’être un peu paumé, le scénario de « Comment va la douleur ? » nous entraîne vers un dénouement impassible. Impassible parce que dès le premier chapitre, le roman nous livre la fin. Mais avant qu’une chaise chute dans une chambre paisible d’un hôtel de Vals-les-Bains, il s’en sera passé une sacrée pagaille. Une joyeuse pagaille, même.   


Adaptation

En avril 2010, l’adaptation en téléfilm de comment va la douleur a commencé sous la direction de François Marthouret. Programmé sur France 2.  Et c’est Bernard Lecoq qui interprétera Simon Marechall, le tueur à gages taciturne.




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"Trois vies chinoises"
          
                                                            de Dai Sijie aux éditions Flammarion

L'auteur

Dai Sijie a publié "Balzac et la petite tailleuse chinoise" qui lui a valu un succès international ainsi que son adaptation en film. "Le complexe de Di" a reçu le prix Femina en 2003. En 2007, il a publié "Par une nuit où la lune ne s’est pas levée". D’origine chinoise, il est venu en France pour suivre des études cinématographiques, il a réalisé, entre autres "La fille du botaniste", en 2006.

Le livre

Comme son titre l’indique, le livre de Dai Sijie nous offre 3 histoires, qu’on pourrait même qualifier de trois contes. Ces "Trois vies chinoises" que nous raconte Dai Sijie peuvent être résumées en trois petites phrases, comme c’est d’ailleurs le cas sur la quatrième de couverture. Et avant de vous en dire plus sur les sujets traités dans chacune d’elle, je voudrais saluer la mise en forme de cet ouvrage que j’affectionne tout particulièrement.
A ce sujet, je voudrais rappeler cette jolie phrase qu’a eu Balzac au sujet de cet exercice difficile que peut être l’écriture d’une nouvelle ou tout au moins cette forme d’écriture condensée. Alors que Balzac publiait à ses débuts ses écrits sous forme de feuilleton dans un journal, il rendait toujours son feuillet en retard et sous les réprimandes de l’imprimeur qui attendait sa feuille, il eut ce bon mot : "Désolé pour ce retard, mais il a fallu que je fasse court." Et oui, car souvent, écrire un texte court, contrairement à ce qu’on pourrait croire, demande plus de travail car chaque mot compte, chaque phrase a d’autant plus de poids, qu’elle est épurée. Et dans ces 3 vies chinoises, on est tout de suite saisi par la justesse de l’écriture. Sans fioritures, avec un équilibre de funambule, Dai Sijie nous déroule trois histoires fascinantes.
Les thèmes abordés
Même si les trois histoires sont indépendantes les unes des autres, elles ont au moins trois points communs. Tout d’abord, le lieu dans lequel elles se déroulent : l’île de la noblesse, une sorte de no man’s land tout droit sorti de l’imagination de l’auteur. Une île qui a des allures de décharge à ciel ouvert, où les principaux déchets sont des composants électroniques. Elle apparaît comme le cimetière d’un monde du tout-technologique, où s’amoncèlent des circuits imprimés, des téléviseurs, du plomb, des câbles etc…  2ème point commun : les personnages principaux de chaque histoire sont tous de jeunes adolescents. Et enfin un trosième point commun, qui est le centre de chacune des histoires, c’est la maladie.   

Ho chi Min
Le Bogart du réservoir d’eau
 Le cuirassé qui passe à travers les montagnes
 3 titres intrigants qui résument chacun l’épisode d’une vie.

Il y a d’abord l’histoire de celui qu’on appelle le neveu de la muette, un enfant atteint de la progéria, une maladie qui provoque un vieillissement prématuré. Le pauvre enfant n’a que 12 ans, mais en  paraît 70. Il sera vendu par sa tante à un homme. A partir de maintenant, il s’appellera 9413. « C’est un personnage du prochain spectacle de cirque ? » demandera l’enfant à son gardien. Non, mon pauvre enfant, c’est le matricule du condamné à mort que tu remplaceras au moment voulu. » Ne lui répondra pas son bourreau. C’est vrai que dans un cirque on apprend rarement par cœur l’état civil d’un homme, on apprend rarement  à marcher avec une chaîne, à s’agenouiller puis tendre les mains pour qu’on y passe des menottes.
Une histoire tragique, mais pas moins que celle de la fille du gardien du réservoir d’eau qui trouve un jour sous les plaques de glace de l’étang gelé, une chaussure appartenant à sa mère disparue quelques temps auparavant. Pas moins non plus que celle du fils cadet, qui se voit obligé d’enchaîner son grand frère, souffrant de folie.
Une couleur: le gris
Si « Trois vies chinoises » était une couleur, ce serait assurément le gris. Le gris de la pollution, le gris d’un ciel toxique. Le gris de la boue, des lieux glauques. Le gris de la poussière qui s’amoncèle sur les choses immobiles.  Le gris d’un avenir qui se ne lit plus dans le regard de ces 3 enfants. Le gris des chaînes, de la misère. "Ah, qu’est-ce qu’on doit déprimer en lisant ce livre!" me direz-vous. Et bien non  parce que par moment sur la toile grise, apparaît un trait de pinceau délicat, une petite étincelle qui préfigure la si belle innocence d’un gamin, l’émotion d’une fillette qui retrouve sa maman, ou encore, l’attendrissement d’un adolescent qui sauve de la mort une bestiole étrange. Alors oui, ces "Trois vies chinoises" sont grises, elles empoignent le cœur, mais attention, la couleur grise n’est qu’une illusion d’optique, elle n’est que le mélange du noir et du blanc. Dai Sijie a mis beaucoup de noir, libre à vous, lecteurs d’entrevoir une toute autre couleur dans le blanc qu’il reste...





« L’idiot du village et autres nouvelles »

                                                                               aux éditions Buchet Castel



Aujourd’hui, je vais vous parler du prix du jeune écrivain 2011, qui a donné naissance à un recueil de nouvelles intitulé « L’idiot du village ».

Ce prix  est attribué par un jury composé d’écrivains et de critiques littéraires. On y trouve par exemple Vincent Delecroix, Carole Martinez, Boualem Sansal,  Christiane Baroche qui signe d’ailleurs la préface de ce livre. Le format retenu pour ce concours est la nouvelle, le récit ou le conte. Pour cette édition 2011, il y a un prix pour les auteurs d’origines françaises et francophones. Les lauréats âgés de de 15 à 27 ans. Cette année, le grand gagnant s’appelle Bruno Pellegrino avec sa nouvelle « L’idiot du village ». A noter que Marie Darrieussecq, l’auteur de truismes avait remporté ce prix en 1988.

La relève assurée ?


Il est temps de raccompagner à la porte, nos auteurs aux tempes grisonnantes.  Adieux patriarches de notre bonne littérature, tenez bien vos postiches et vos manuscrits poussiéreux car souffle un vent de fraîcheur prêt à tout emporter sur son passage. Un vent de fraîcheur qui prend naissance notamment avec de jeunes talents comme Karim Haroun Alexandre Sordet, Pauline Ferray, ou encore Lydiane Tsague Tsayem… Ils sont 12 au total à publier une nouvelle dans cet ouvrage intitulé « l’idiot du village et autres nouvelles » aux éditions Buchet Castel. Et je peux vous dire que la qualité est au rendez-vous.

Des sujets graves


Je dois avouer qu’en tenant ce livre entre mes mains et avant d’en explorer le  contenu, j’avais peur de tomber sur des textes gonflés de toute l’arrogance d’une jeunesse qui bave devant le succès et la gloire. J’avais peur aussi de tomber sur des histoires résolument modernes avec tout ce que cela implique de raccourcis stylistiques, de dommages collatéraux pour notre belle langue française. Je m’attendais aussi à un peu de niaiserie, à des historiettes de post-pubères qui crachent leur mal-être à la face des autres. Et bien non, on a ici des textes d’une maturité déconcertante avec des sujets souvent graves, parfois poétiques, délicats, voire troublants. La mort, l’humiliation, l’amour impossible, le viol, le suicide… Des sujets de grandes personnes en somme.


Le grand gagnant de ce prix du jeune écrivain a été remporté par Bruno Pellegrino,  un suisse de 21 ans avec sa nouvelle « L’idiot du village »

Bruno Pellegrino nous plonge dans un petit village à la rencontre de ses gens qui travaillent la terre qui du jour au lendemain, se trouvent confronter à des morts soudaines. Il y a d’abord, Jules l’adolescent, terrassé d’un arrêt cardiaque, puis la vieille Brigitte, qui tombe  raide morte à l’enterrement de Jules puis le jeune Bastien qui n’a que 8 ans et qui succombe tout aussi soudainement. Alors cette fatalité de la mort inquiète les villageois. Bruno Pellegrino fait dire aux habitants du village : « On s’est mis, tout naturellement, tout bêtement, en humains que nous sommes, à nous chercher un coupable. » C’est dans la nature ça de rejeter la faute sur quelqu’un, et le coupable idéal, celui qui va finir par concentrer toute la haine de ces gens, ce n’est personne d’autre que l’idiot du village. Ce gamin avec ses petits yeux fixes, sa lèvre supérieure enflée, qui bave, qui est là les bras ballants, enfermé dans un mutisme qui énerve, énerve au plus haut point tous les villageois. Il les énerve tellement que le jour où il viendra aux champs avertir les ramasseurs de pommes de terre « mobilisation générale, c’est la guerre » et bien ce jour-là l’idiot va devenir l’exutoire d’une tension accumulée par tous.

L’écriture de Bruno Pellegrino est fluide, vivante, avec des phrases longues très longues même puisqu’elles peuvent durer sur 4 pages, mais elles sont maitrisées de bout en bout, avec un mélange d’humour noir et de cynisme.

D’autres nouvelles…

Alors, il y a celle de Pauline Ferray, 15 ans, avec « Dvoïrel », qui nous conte l’histoire d’un petit garçon, Micha, qui va  sans le savoir, alors qu’il est envoyé dans un pensionnat, échapper à la déportation contrairement aux autres membres de sa famille. Il retrouvera 20 ans plus tard, les traces  de l’une de ses sœurs qui a réussi elle aussi à survivre en se cachant dans une malle. Beaucoup d’émotions donc dans cette nouvelle. Tout comme dans celle d’Elodie Soury-Lavergne, avec « L’œuvre de la pierre »,  qui nous glisse dans la tête d’une petite fille de 13 ans en plein acte de lapidation.


Il y a aussi cette nouvelle originale « Chez Bibi » comme le nom d’un petit bar perdu en plein désert où on y rencontre des personnages étranges et décalés ; Et puis, une autre nouvelle que j’ai beaucoup aimé c’est « By night » de Clémence Lefèvres, qui met en scène un serveur dans un bar de nuit qui va toucher 150 dollars de pourboire juste pour écouter un client parler. Et ce qu’il a lui dire est assez étonnant.


Voilà un livre que je vous conseille fortement. Oubliez l’âge de ceux qui tiennent la plume. La littérature est une amoureuse frivole qui a bien besoin, de temps en temps de changer d’amants et cela ne peut qu’encourager les maris délaissés à dépoussiérer leurs plus belles tournures, pour lui refaire la cour. Parce qu’attention, les courtisans sont nombreux !













                                                                                                                                         Clément Moutiez

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